La foi soulève des montagnes. (La Bible)

Cette citation n’est pas à proprement parler un proverbe et, pour le sens, elle est tirée notamment des évangiles dits synoptiques[1], en particulier de l’évangile selon Matthieu[2]. Il semble que ce soit un topos, ou cliché littéraire, voire une locution consacrée par l’usage, puisqu’on la retrouve quasi telle quelle au verset 2b du célèbre chapitre 13 de la 1re épître de l’apôtre Paul aux Corinthiens, dont les treize premiers versets, qui exaltent l’amour fraternel, sont traditionnellement appelés l’hymne à l’amour : … quand j’aurais la foi dans sa plénitude [c.-à-d. tout entière], celle qui déplace les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien. 

Qu’est-ce que la foi ? Selon le philosophe danois Sören Kierkegaard (1813-1855) « La foi commence précisément là où s’arrête la pensée ». Par pensée[3] il faut entendre ce qu’en philosophie on appelle le raisonnement discursif, soit un mode de connaissance procédant selon le discours logique ; cette faculté humaine était appelée autrefois la raison. Fondée sur la toute-puissance de Dieu, « la foi est l’essence de ce que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas. »[4].

Or ces réalités qu’on ne voit pas, mais que l’on espère, sont résumées dans le Credo, forme substantivée d’un verbe latin signifiant je crois. Ce texte fondamental a été élaboré au cours des deux premiers conciles œcuméniques de l’Eglise indivise, celui de Nicée en 325 et celui de Constantinople, en 381. Ces conciles sont dits œcuméniques[5], parce qu’ils réunissaient des représentants de toutes les Eglises existant dans l’Empire romain réunifié par Constantin le Grand – né entre 270 et 288 et mort en 337 – empire constituant le monde habité [6] de ce temps-là. « Le concile de Nicée condamna Arius et définit le Fils de Dieu incarné comme consubstantiel au Père, < tandis que > le concile de Constantinople donna une solution aux séquelles de la crise arienne ; les sources du siècle suivant attribuent également à ce concile l’adoption du “Symbole” dit de Nicée-Constantinople, notre Credo. »[7]. Ce Symbole de la Foi s’appelle ainsi parce qu’il est un résumé succinct mais complet des dogmes fondamentaux de la foi chrétienne[8].

Selon les Pères de l’Eglise, la foi est avant tout un don de Dieu, le fondement même de notre relation avec Dieu. Incapables par nous-mêmes d’acquérir la foi, il nous faut donc la Lui demander. En outre, c’est une vertu morale qui aide le croyant à vivre selon la volonté de Dieu. Elle se développe et se fortifie par la prière, la lecture de la Bible, l’observation des commandements divins et la participation aux sacrements de l’Eglise. Certitude des choses invisibles, elle donne la force de croire en des réalités que l’esprit humain est incapable même de concevoir[9]. Manifestant la confiance en l’amour de Dieu et en sa toute-puissance, elle soutient le croyant dans les tribulations de sa vie terrestre et fortifie son espérance dans le Royaume des cieux à venir. Voué à Dieu, il mène dès lors une vie consacrée au service de Dieu et de son prochain.

C’est donc un élément essentiel avec lequel on ne badine pas, comme le souligne un passage de l’évangile selon Matthieu[10], où les disciples sont sévèrement réprimandés pour leur peu foi, c’est-à-dire leur manque de confiance en Dieu ! Dans le Pentateuque, au livre des Nombres[11], Yahvé annonce à Moïse et à Aaron son frère qu’ils n’entreront pas dans la Terre promise, à cause de leur manque de foi.

La foi n’est pas absente de l’Ancien Testament : dès le livre de la Genèse, en effet, le patriarche Abraham est l’homme de foi par excellence. Croyant envers et contre tout aux promesses que Dieu lui a faites, cela « lui fut imputé à justice »[12]. Quant au prophète Daniel, homme rempli de foi en Dieu, et à ses trois compagnons, exilés avec leurs coreligionnaires à Babylone, lorsqu’ils refusèrent de se prosterner devant la statue d’or qu’avait fait élever à sa propre gloire le roi Nabuchodonosor, celui-ci ordonna qu’ils fussent incontinent jetés vivants, tout habillés et ligotés, dans la fournaise de feu ardent, chauffée sept fois plus que d’habitude, par des hommes forts de son armée. Alors que ceux-ci, s’approchant de la fournaise, furent immédiatement brûlés vifs en les y jetant, les quatre Hébreux « marchaient au milieu de la flamme, louant Dieu et bénissant le Seigneur. »[13]

Ainsi l’image initiale de notre citation souligne-t-elle le caractère absolu de la foi, raison pour laquelle ce terme n’est d’ordinaire pas déterminé, sinon par la personne en qui elle s’enracine : c’est la foi en Jésus Christ, le Fils de Dieu. Tout-puissant comme le Père, il accomplit d’innombrables miracles ; bien souvent, après une guérison miraculeuse, le Christ dit d’ailleurs à la personne qui a recouvré la santé, ta foi t’a guérie et même ta foi t’a sauvée[14]. Au-delà de la guérison d’une maladie ou d’une infirmité incurables, ce dernier verbe souligne que la foi, puissance de vie, entraîne le salut de l’âme et la vie éternelle. Il fait en outre écho à cette déclaration du prophète Habaquq, citée à trois reprises dans les épîtres de Paul : le juste vit par la foi[15]. Le fait qu’il suffit d’en avoir de la taille d’un grain de moutarde souligne combien la foi véritable est puissante[16], mais aussi difficile à acquérir ! Et pourtant, le Christ ne déclare-t-il pas : « Tout ce que vous demanderez dans la prière avec foi, vous le recevrez »[17]? Or, comme l’écrit saint Jean dans sa première épître, « la victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi.» [18]

Essentiellement biblique, la foi est une notion absente de l’Antiquité classique.

[1] De l’adjectif composé grec synoptikos / συνοπτικός, signifiant qui embrasse d’un seul coup d’œil, ce terme rend compte du fait que si l’on place côte à côte ces trois versions évangéliques, on constate que leurs structures sont très semblables, ce qui permet de comparer entre eux les récits qu’elles font de faits identiques. Des trois premiers évangiles du canon néotestamentaire, celui de Marc est le plus ancien. Quant au 4e évangile, celui de Jean, très différent des trois autres, il leur est aussi postérieur dans le temps.

[2] Chapitre 21, versets 20 à 22, qu’on lit également chez Marc 11, 23 ; v. aussi Matthieu 17, 20 & Luc 17, 6. — Dans l’original grec, le Christ emploie des verbes signifiant se soulever, se déplacer, le sujet étant la montagne elle-même, qui exécute l’ordre de “se mouvoir et de se jeter dans la mer”.

[3] “Par métonymie, l’action de penser est une opération de l’intelligence”. (P.E. Littré, Dictionnaire de la langue française, s.v.)

[4] Hébreux, 11, 1.

[5] De l’adjectif grec oikouménicos / οἰκουμενικός.

[6] En grec ἡ οἰκουμένη γῆ /  oïkouménè  : la terre habitée, donc le monde connu.

[7] Jean MEYENDORFF, L’Eglise orthodoxe hier et aujourd’hui. — Arius d’Alexandrie (env. 250-336) était un prêtre, théologien et ascète dont les positions concernant la Trinité ont durablement influé sur le christianisme, bien qu’elles aient été condamnées comme hérésie par les deux premiers conciles précisément.

[8] En grec ancien, le mot de symbolon / σύμβολον désigne un signe de reconnaissance qui unit (par allusion au sens premier du terme signifiant un objet coupé en deux, dont deux hôtes conservaient chacun une moitié en vue d’une reconnaissance par leurs enfants du lien d’hospitalité contracté par leurs parents) ; désignant tout signe sensible, emblème, insigne, symbole, il finit par prendre le sens de convention.

[9] A commencer par “l’amour du Christ, qui surpasse toute intelligence” ; voir à ce sujet la belle prière de l’apôtre Paul dans son épître aux Ephésiens, chap. 3, vv. 14-21.

[10] Chap. 17, v. 20.

[11] Chap. 20, v. 12. Le nom de Pentateuque, tiré de la Bible grecque, désigne les cinq premiers livres de l’Ancien Testament  – en grec, Pentateuchos / Πεντάτευχος. Ils sont appelés Torah en hébreu, terme dont le sens exact est Parole de Dieu, et non pas seulement Loi, comme on traduit ce mot d’ordinaire ; selon le Talmud en effet, on appelle loi l’ensemble des 613 prescriptions contenues dans la Torah orale ; réglant la piété juive, elles sont résumées dans les Dix Commandements. — La Bible grecque est connue sous le nom de La Septante, qui correspond au latin Septuaginta : c’est l’ensemble des plus anciennes traductions de la Bible hébraïque dans son entier, faites en grec commun (koïnè / κοινή) des IIIe et IICette citation n’est pas à proprement parler un proverbe et, pour le sens, elle est tirée notamment des évangiles dits synoptiques, en particulier de l’évangile selon Matthieu. Il semble que ce soit un topos, ou cliché littéraire, voire une locution consacrée par l’usage, puisqu’on la retrouve quasi telle quelle au verset 2b du célèbre chapitre 13 de la 1re épître de l’apôtre Paul aux Corinthiens, dont les treize premiers versets, qui exaltent l’amour fraternel, sont traditionnellement appelés l’hymne à l’amour : … quand j’aurais la foi dans sa plénitude [c.-à-d. tout entière], celle qui déplace les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.
Qu’est-ce que la foi ? Selon le philosophe danois Sören Kierkegaard (1813-1855) « La foi commence précisément là où s’arrête la pensée ». Par pensée il faut entendre ce qu’en philosophie on appelle le raisonnement discursif, soit un mode de connaissance procédant selon le discours logique ; cette faculté humaine était appelée autrefois la raison. Fondée sur la toute-puissance de Dieu, « la foi est l’essence de ce que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas. ».
Or ces réalités qu’on ne voit pas, mais que l’on espère, sont résumées dans le Credo, forme substantivée d’un verbe latin signifiant je crois. Ce texte fondamental a été élaboré au cours des deux premiers conciles œcuméniques de l’Eglise indivise, celui de Nicée en 325 et celui de Constantinople, en 381. Ces conciles sont dits œcuméniques, parce qu’ils réunissaient des représentants de toutes les Eglises existant dans l’Empire romain réunifié par Constantin le Grand – né entre 270 et 288 et mort en 337 – empire constituant le monde habité de ce temps-là. « Le concile de Nicée condamna Arius et définit le Fils de Dieu incarné comme consubstantiel au Père, < tandis que > le concile de Constantinople donna une solution aux séquelles de la crise arienne ; les sources du siècle suivant attribuent également à ce concile l’adoption du “Symbole” dit de Nicée-Constantinople, notre Credo. ». Ce Symbole de la Foi s’appelle ainsi parce qu’il est un résumé succinct mais complet des dogmes fondamentaux de la foi chrétienne.
Selon les Pères de l’Eglise, la foi est avant tout un don de Dieu, le fondement même de notre relation avec Dieu. Incapables par nous-mêmes d’acquérir la foi, il nous faut donc la Lui demander. En outre, c’est une vertu morale qui aide le croyant à vivre selon la volonté de Dieu. Elle se développe et se fortifie par la prière, la lecture de la Bible, l’observation des commandements divins et la participation aux sacrements de l’Eglise. Certitude des choses invisibles, elle donne la force de croire en des réalités que l’esprit humain est incapable même de concevoir. Manifestant la confiance en l’amour de Dieu et en sa toute-puissance, elle soutient le croyant dans les tribulations de sa vie terrestre et fortifie son espérance dans le Royaume des cieux à venir. Voué à Dieu, il mène dès lors une vie consacrée au service de Dieu et de son prochain.
C’est donc un élément essentiel avec lequel on ne badine pas, comme le souligne un passage de l’évangile selon Matthieu, où les disciples sont sévèrement réprimandés pour leur peu foi, c’est-à-dire leur manque de confiance en Dieu ! Dans le Pentateuque, au livre des Nombres, Yahvé annonce à Moïse et à Aaron son frère qu’ils n’entreront pas dans la Terre promise, à cause de leur manque de foi.
La foi n’est pas absente de l’Ancien Testament : dès le livre de la Genèse, en effet, le patriarche Abraham est l’homme de foi par excellence. Croyant envers et contre tout aux promesses que Dieu lui a faites, cela « lui fut imputé à justice ». Quant au prophète Daniel, homme rempli de foi en Dieu, et à ses trois compagnons, exilés avec leurs coreligionnaires à Babylone, lorsqu’ils refusèrent de se prosterner devant la statue d’or qu’avait fait élever à sa propre gloire le roi Nabuchodonosor, celui-ci ordonna qu’ils fussent incontinent jetés vivants, tout habillés et ligotés, dans la fournaise de feu ardent, chauffée sept fois plus que d’habitude, par des hommes forts de son armée. Alors que ceux-ci, s’approchant de la fournaise, furent immédiatement brûlés vifs en les y jetant, les quatre Hébreux « marchaient au milieu de la flamme, louant Dieu et bénissant le Seigneur. »
Ainsi l’image initiale de notre citation souligne-t-elle le caractère absolu de la foi, raison pour laquelle ce terme n’est d’ordinaire pas déterminé, sinon par la personne en qui elle s’enracine : c’est la foi en Jésus Christ, le Fils de Dieu. Tout-puissant comme le Père, il accomplit d’innombrables miracles ; bien souvent, après une guérison miraculeuse, le Christ dit d’ailleurs à la personne qui a recouvré la santé, ta foi t’a guérie et même ta foi t’a sauvée. Au-delà de la guérison d’une maladie ou d’une infirmité incurables, ce dernier verbe souligne que la foi, puissance de vie, entraîne le salut de l’âme et la vie éternelle. Il fait en outre écho à cette déclaration du prophète Habaquq, citée à trois reprises dans les épîtres de Paul : le juste vit par la foi. Le fait qu’il suffit d’en avoir de la taille d’un grain de moutarde souligne combien la foi véritable est puissante, mais aussi difficile à acquérir ! Et pourtant, le Christ ne déclare-t-il pas : « Tout ce que vous demanderez dans la prière avec foi, vous le recevrez »? Or, comme l’écrit saint Jean dans sa première épître, « la victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi.»
Essentiellement biblique, la foi est une notion absente de l’Antiquité classique.
siècles avant J.-C. par 72 traducteurs juifs d’Alexandrie, soit six traducteurs pour chacune des 12 tribus d’Israël.

[12] Epître aux Romains, 4, 5 & 9.

[13] Daniel, 3, 24 ss. Cf. les cantiques d’Azaria et celui des trois jeunes gens, qui lui fait suite.

[14] Matthieu 9, 32 ; Marc 10, 52, Luc 7, 50, 8, 48, etc.

[15] Habaquq 2, 4. Si l’original hébreu recourt à un terme correspondant à fidélité, ce sont les Pères de l’Eglise, à la suite de l’apôtre Paul, qui ont étendu le sens du terme hébreu à celui de foi.

[16] Matthieu 17, 20.

[17] Matthieu 21, 22. Le verset précédent donne précisément l’exemple de la montagne qui s’ôte de là où elle est pour se jeter dans la mer ; cf. aussi Marc 11, 24 & Jean, 15, 7.

[18] 1 Jean, 5, 4

Jamais nous ne goûtons de parfaite allégresse ;
Nos plus heureux succès sont mêlés de tristesse.
Toujours quelques soucis en ces événements
Troublent la pureté de nos contentements[7].

C’est pourquoi Jean d’Ormesson (1925-2017) avait accoutumé de dire : « la vie n’est pas une fête perpétuelle ; merci des roses, merci aussi des épines ».

Or, qu’en est-il du point de vue botanique ? Tout d’abord, ce que nous appelons improprement des épines sont en fait des aiguillons, soit des excroissances latérales de l’épiderme de la plante, tandis que les épines sont des tiges ou des feuilles modifiées. Quant aux rosiers, si la majorité des espèces sont dotées d’épines, il en existe quelques variétés dites inermes, c’est-à-dire dépourvues de piquants.

Cela dit, le genre botanique Rosa, qui concerne aussi bien les rosiers cultivés pour leurs fleurs que les églantiers, qui sont des espèces sauvages, désigne un genre de plantes à fleurs de la famille des Rosacées, originaires des régions tempérées et subtropicales de l’hémisphère nord, aussi bien du Nouveau Monde que de l’Ancien[8]. Rosiers et églantiers sont d’ordinaire des arbustes et arbrisseaux sarmenteux et épineux. Ce genre comprend de 100 à 200 espèces qui s’hybrident facilement entre elles.

Apparues il y a plusieurs dizaines de millions d’années, comme en témoignent des fossiles trouvés dans l’Orégon, certaines espèces de cette fleur seraient d’origine persane : c’est le cas de la rose jaune de Perse, célèbre pour sa couleur et son parfum, qui atteignit Vienne au XVIe siècle, d’où elle se répandit peu à peu en Europe, puis dans le reste du monde. Autre rosier persan renommé, la rose d’Ispahan, descendante d’une variété ancienne appelée rosier de Damas (rosa damascena), d’origine inconnue et qui devrait son nom au fait qu’un spécimen en aurait été rapporté de Terre Sainte en 1254, par un Croisé du nom de Robert de Brie au terme de la septième Croisade[9]. Dans la langue de la Perse ancienne, la rose se disait wrodon, nom transposé en grec ancien sous la forme rodon / ῥόδον, qui est à l’origine de nombreux vocables liés à cette fleur mythique, considérée comme la reine des fleurs. Qui ne connaît les rhododendrons, littéralement, des arbustes roses ! Et le nom même de l’île de Rhodes signifie la rose !

Par leur beauté, leur forme et leur parfum, les fleurs du rosier sont à ce point chargées de symbolisme que l’on ne compte plus les innombrables cas, expressions et circonstances qui leur sont associés. Symbole du paradis, de la pureté et de la chasteté depuis l’Antiquité, ainsi que de l’amour, de la beauté et de la passion,  la rose et le rosier sont également associés au sacré[10] ; par la suite, la couleur rose a été liée à l’amour tendre, à l’affection en général et à l’amitié[11].

L’aurore aux doigts de roses. Cette célèbre épithète homérique de l’aube[12] déifiée et appelée Eôs en grec, est expliquée au début du onzième chant de l’Iliade : [La déesse] Aurore se leva de la couche où elle reposait au côté de l’admirable Tithon / Afin d’apporter la lumière aux Immortels comme aux mortels. C’est en effet de ses mains couleur de rose qu’Aurore ouvre à Hélios la porte de son lever. Les épithètes aux doigts de rose ou aux doigts d’or désignent métaphoriquement les couleurs qui teignent le ciel avant l’apparition des premiers rayons du soleil.

Selon le poète grec Anacréon, qui a beaucoup chanté les roses, celles-ci seraient issues de l’écume couleur d’or blanc qui recouvrait le corps d’Aphrodite Anadyomène, déesse de l’amour et mère d’Eros, au moment où elle naquit de la mer baignant l’île de Cythère, au large du cap Malée. Pour les Grecs, les roses étaient blanches, en particulier celles qui décoraient l’autel et les jardins des temples consacrés à Aphrodite. Elles prirent la couleur rouge lorsque la déesse, courant au secours d’Adonis, son amant, qui avait été attaqué par un sanglier, se blessa dans sa hâte aux épines des roses blanches ornant ses pieds : celles-ci se colorèrent aussitôt de gouttes de sang divin.

Anacréon de Téos en Lydie (Asie Mineure) est né vers 570 av. J.-C. et serait mort à l’âge de 85 ans. Il vécut dans l’île de Samos, à la cour du tyran Polycrate, qui s’entourait d’artistes et de poètes. C’est là qu’il passa la partie la plus active et la plus brillante de son existence, composant des chansons d’amour et de table d’une légèreté gracieuse et souriante, qui firent de lui l’un des plus grands représentants du lyrisme personnel en dialecte ionien.

S’il ne nous reste d’Anacréon que des fragments, au nombre de cent quatre-vingts environ, son renom fut tel qu’on le pastichera à l’époque alexandrine puis byzantine : ayant fait école, il eut de nombreux et habiles imitateurs, dont les productions, rassemblées au XIe siècle dans l’Anthologie dite palatine, forment un recueil de poèmes anacréontiques, inspirés de la manière du chanteur de Téos. Découverts en 1554 par Henri Estienne, ils furent publiés par le célèbre imprimeur genevois, tant ils étaient de bonne facture, sous le titre d’Odes d’Anacréon. Ce recueil plut d’emblée aux poètes du XVIe siècle formant le groupe de la Pléiade[13], dont certains traduisirent toutes ces pièces légères et enjouées, quand ils ne composaient pas eux-mêmes en français des poèmes dans le style d’Anacréon.

Au nombre de ceux-ci, le prince des poètes, Pierre de Ronsard (1524-1585) ; surtout attiré par les poètes grecs, il considérait la poésie comme un sacerdoce, à l’instar des plus grands d’entre eux[14]. Outre nombre de sonnets imités de Pétrarque, Ronsard écrivit quantité d’odes inspirées de Pindare, d’Anacréon et d’Horace principalement. Imitateur du lyrique latin et épicurien comme lui, fortement influencé par Virgile, il chante la nature, le bon vin, les douceurs de l’amour et de l’amitié. Sensible à la joie de vivre et d’aimer, thèmes épicuriens par excellence, le poète avançant en âge est de plus en plus préoccupé par la fuite du temps et la mort inéluctable. Il multiplie les variations sur la beauté éphémère des roses et de l’amour, un des motifs de la poésie alexandrine, précieuse et maniérée. Ce lyrisme s’exprime en particulier dans les Amours de Cassandre, les Amours de Marie et les Sonnets pour Hélène.

Sur la mort de Marie

Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’aube de ses pleurs au point du jour l’arrose ;
La grâce dans sa feuille et l’amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d’odeurs ;
Mais battue ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose.
Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.
Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.

Par sa couleur blanche, rose ou rouge, la rose symbolise, depuis des temps très anciens, le mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu dans la tradition chrétienne. C’est ainsi que Rosa mystica[15] désigne la Vierge Marie, une dénomination d’origine patristique. Dans l’art du vitrail médiéval, les symboles transcendantaux de celle-ci sont exprimés par la ou les grandes rosaces, – appelées auparavant roses – des cathédrales occidentales. Notons que la rosace de la cathédrale de Lausanne, qui était consacrée à Notre-Dame avant la Réforme protestante, est antérieure à celles de la cathédrale de Chartres. L’appellation Rosa mystica a été reprise dans les Litanies de Lorette, une prière datant du XVIe siècle, très populaire dans l’Eglise romaine.

Quant aux mystères du Rosaire[16], initialement au nombre de quinze, ils concernent des événements et des moments significatifs de la vie de Jésus Christ et de la Vierge Marie. Subdivisés en quatre chapelets, ils se répartissent en mystères joyeux, dits le lundi et le samedi, en mystères lumineux, dits le jeudi et en mystères douloureux, liés au mardi et au vendredi. La quatrième série, ajoutée en 2002 par la Lettre apostolique pontificale Rosarium Virginis Mariae du pape Jean-Paul II, constitue les mystères glorieux, dits le mercredi et le dimanche.

Par l’intercession de la Vierge Marie, l’homme et la femme déchus en raison du péché originel sont restaurés dans leur innocence première : la couronne de roses que porte la Mère du Christ remplace la couronne d’épines placée sur la tête de son Fils avant la Crucifixion, tressée par Adam et Eve lorsqu’ils enfreignirent l’ordre de Dieu. C’est pourquoi, selon saint Basile le Grand (330-379), les rosiers n’avaient pas d’épines avant le péché originel[17].

De l’hymnologie orthodoxe, nous citerons pour conclure le quatrième tropaire de l’Hymne acathiste, dont c’est l’un des plus beaux et des plus lyriques[18] : on y lit l’admirable appellation de Rose immarcescible – Ῥόδον τὸ Ἀμάραντον / Rodon to Amaranton – conférée à la Vierge Marie. Pour comprendre ces vers, il faut imaginer un Etre doué d’un puissant odorat, en quête d’un lieu, d’une personne même exhalant une merveilleuse odeur. Cette personne, Il la trouve : c’est la future Théotokos, Mère de Son Fils qui s’incarne par elle, Rose au parfum sublime, qui jamais ne se fane.

« Réjouis-toi, toi de qui est éclose la Rose immarcescible / Réjouis-toi, toi qui as mis au monde la pomme au parfum suave, odoration du Roi de tous. »[19]

[1] Il figure d’ailleurs dans le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière (1619-1688), ouvrage “contenant généralement tous les MOTS FRANÇOIS, tant vieux que modernes & les Termes de toutes les SCIENCES ET DES ARTS, sçavoir…”

[2] De son nom complet Marie Joseph Paul Yves Roch Gilbert MOTIER, général et homme politique français, qui joua un rôle important dans la guerre d’Indépendance américaine.

[3] Οὑδὲν κακὸν ἀμιγὲς καλοῦ.

[4] Né vers 254 et mort en 184 av. J.-C. —  Cf. Amphitryon, v. 635 : Ita diis placitum voluptatem ut maeror comes consequatur. Au début de la scène 2, le poète développe cette idée dans un court monologue  d’Alcmène, qui ne put passer qu’une seule nuit avec son mari bien aimé, puisqu’il la quitta brusquement avant l’aube.

[5] Odes, 2, 16, v. 27s. Nihil est ab omni parte beatum.

[6] Fables, III, 1, Le Meunier, son fils et l’âne.

[7] Pierre CORNEILLE, Le Cid, acte III, scène 5.

[8] On y distingue deux grandes aires de répartition : l’Europe et le bassin méditerranéen d’une part, l’Extrême Orient, d’autre part. Selon Confucius (551-479 av. J.-C.), la rose jouait un rôle important dans l’Empire de Chine, en particulier durant le règne de la dynastie Zhou (1046-256 av. J.-C.), qui en planta un très grand nombre dans les jardins impériaux, tandis que la Bibliothèque impériale comptait plus de 600 ouvrages relatifs à la rose !

[9] Il existe un rosier de Damas originel, poussant spontanément en Syrie, au Maroc, en Andalousie et dans le Caucase ! Quant au rosier d’Ispahan, il pousse aussi à l’état sauvage dans sa région d’origine.

[10] Sans vouloir emboîter le pas à Umberto Eco (1932-2016), qui, dans l’apostille au Nom de la rose, écrit que l’idée de ce titre lui « vint quasi par hasard et <qu’> elle <lui> plut, parce que la rose est une figure symbolique si chargée de significations qu’elle finit par n’en plus avoir aucune, ou presque… », nous nous bornons à donner ici quelques exemples, choisis en fonction de critères purement subjectifs.

[11] Dans son ouvrage intitulé Des couleurs symboliques dans l’Antiquité, le Moyen-Age et les Temps modernes, publié en 1837, l’auteur Frédéric Portal (1804-1876) fait du rose une couleur distincte, symbolisant tendresse et douceur, le mettant en relation avec la rosée – ros, en latin, où ce nom est masculin – et la fleur du rosier, rosa (fém.), l’associant ainsi à la régénération. Or ce rapprochement est étymologiquement contestable : nonobstant leur ressemblance, ces deux termes proviennent de racines différentes.

[12] Cf. par exemple Iliade 6, 175 et Odyssée 2, 1.

[13] En souvenir du nom d’une constellation de sept étoiles, choisi par un groupe de sept poètes alexandrins du IIIe siècle av. J.-C.

[14] Désireux de se remettre à l’étude des lettres antiques, ce qu’il fit en tout cas durant cinq ans, et formé par l’helléniste Jean Dorat (1508-1588) au collège de Coqueret, de 1545 à 1547, il y reçut, aux côtés de Jean Antoine de Baïf et de Joachim du Bellay, une admirable éducation humaniste, qui fit d’eux de bons hellénistes et latinistes.

[15] A l’origine, l’adjectif mystique désigne ce qui est relatif aux mystères, lesquels faisaient l’objet, dans l’Antiquité, d’une initiation ; appelés mystes, les candidats à celle-ci devaient, une fois initiés, ne rien révéler de ce qu’ils avaient vu, entendu et appris.

[16] Du latin rosarium, qui signifie roseraie, ce terme désigne, en latin ecclésiastique, la guirlande de roses couronnant la Vierge Marie dans les représentations traditionnelles. De nature contemplative, le Rosaire a une double dimension, christique et mariale, qu’il doit aux événements évoqués par les divers mystères le composant. Reposant sur l’invocation de la Vierge Marie, c’est une méditation sur les mystères de la vie de Jésus Christ. — Absent de l’Ancien Testament, hormis une occurrence dans le livre des Proverbes, le terme de mystère apparaît dans les évangiles et surtout dans les épîtres : le Christ évoque le mystère du royaume des cieux (Mat. 13, 11), tandis que l’apôtre Paul parle du mystère [salvifique] de la volonté de Dieu (Eph. 1, 9), du mystère du Christ (ibid., 3, 4), du mystère de l’évangile (ibid., 6, 19), qui tous font l’objet de la Révélation chrétienne.

[17] Homélie sur la germination de la terre, 5, 8.

[18] Contrairement à un usage ecclésiastique dénué de tout fondement étymologique, qui, dans un contexte confessionnel, confère au terme d’hymne le genre féminin, ce vocable venant du grec hymnos par l’intermédiaire du latin hymnus ne peut être que masculin. — Formé sur le grec, l’adjectif acathiste désigne, d’une manière générale, tout hymne durant l’exécution duquel les fidèles se tiennent debout (littéralement sans s’asseoir). Il s’applique en particulier à un hymne spécifique, composé de quatre parties, chantées les quatre premiers vendredis du Grand Carême de Pâques ; le cinquième vendredi, il est chanté en entier. Cet hymne se compose de 24 stances (ou strophes), dont chacune commence par une lettre de l’alphabet grec. Le sujet général en est l’Annonciation ; décrivant divers événements scripturaires, il en fait, dans une langue poétique admirable, une analyse théologique et dogmatique. Ce chef-d’œuvre de l’hymnologie byzantine daterait au plus tôt du VIe siècle, c.-à-d. d’avant le siège de Constantinople de 626 par les Avares et les Perses, ou celui de 718 par les Arabes. Dans les deux cas, la Capitale fut miraculeusement délivrée des assiégeants. Quant à l’auteur, son nom fait encore l’objet de discussions entre spécialistes…

[19] Ce Roi est Dieu Lui-même. — Ce tropaire se trouve au début, dans la première Ode : ‘Ρόδον τὸ ἀμάραντον, χαῖρε ἡ μόνη βλαστήσασα·  τὸ μήλον τὸ εὔοσμον, χαῖρε ἡ τέξασα, τὸ ὀσφράδιον τοῦ πάντων Βασιλέως.

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