La loi a été faite pour le riche et le châtiment pour le pauvre (proverbe arménien)
Cette maxime désabusée et pessimiste serait plutôt américaine qu’arménienne, si l’on se reporte aux quelques mentions dont elle fait l’objet sur la toile. A en croire les vieilles – si vieilles ? – histoires du Far West, la justice en Amérique du Nord n’était pas qu’une question d’argent : on gardait toujours quelque suspect en réserve pour divertir la populace menaçante par une odieuse exécution capitale ! Mais qui oserait jeter la première pierre ?
En fait, aussi loin que remonte cette constatation, aucune des langues les plus répandues d’Europe ne manque d’adages l’illustrant peu ou prou. Les Grecs anciens répétaient à l’envi que « les lois ne sont que toiles d’araignées arrêtant les mouches, mais rompues par les frelons ». Attribuée tour à tour à divers sages de l’Antiquité, la sentence est passée en proverbe dans les langues modernes, alors que le Moyen Age retenait des Pères de l’Eglise : « La censure pardonne aux corbeaux et s’acharne contre les colombes ».
Après la parenthèse médiévale, l’apophtegme a donc repris du service, accompagné d’un autre, qui enfonce le clou : « Les grands voleurs pendent les petits ». Le premier à oser le dire serait Diogène le Cynique, celui qu’a rendu célèbre sa fameuse lanterne ; encore un Grec, évidemment… Quant aux animaux malades de la peste de La Fontaine, tous carnivores, soit dit en passant, ils condamnent l’âne pour avoir mangé l’herbe du voisin. Mais bon, ainsi en allait-il sous l’Ancien Régime, et la Révolution, comme chacun sait, y a mis bon ordre…
Les Misérables de Victor Hugo présentent un autre travers de la société humaine : l’excès de justice, qui devient excès d’injustice (ou : injustice excessive). La peine à laquelle est condamné Jean Valjean, du seul fait qu’il appartient à la couche défavorisée de la société, en est l’exemple le plus illustre. Résultat : un bon jeune homme transformé en brute épaisse ! Et il ne fallait pas moins qu’un auteur tel que Victor Hugo pour lui rendre son humanité et faire de lui un saint.
Dans son traité intitulé Des devoirs (1, 33), Cicéron, déjà, avait déclaré que la maxime summum ius, summa iniuria − au droit le plus strict, injustice extrême (comble de l’injustice) − était passée en proverbe. Depuis lors, c’est devenu un adage du droit.
